Logo

La dimension culturelle et religieuse du développement durable en Afrique

La dimension culturelle et religieuse du développement durable en Afrique :
à travers les exemples du Ghana et du Cameroun
Rapport de la mission effectuée en février 2018

Membres de la délégation :

Günter Nooke, Délégué personnel de la Chancelière fédérale allemande pour l‘Afrique,
Délégué du BMZ (Ministère fédéral de la Coopération économique et du Développement) pour l‘Afrique

Prof. Dr. phil. habil. Matthias Theodor Vogt, Sciences politiques culturelles, Directeur de l‘Institut des infrastructures culturelles de Saxe

Dr. theol. Christine Gühne, Docteure en théologie, Pasteure, Brot für die Welt

Prof. Dr. Brigitta Herrmann, Diplômée en Economie et Théologie, Chaire Globalisation, Politiques de Développement et Ethique, Cologne Business School; Commission episcopale allemande de Justitia et Pax

La dimension culturelle et religieuse du développement durable en Afrique : à travers les exemples du Ghana et du Cameroun. Rapport de la mission effectuée en février 2018 par Günter Nooke, Délégué personnel de la Chancelière fédérale allemande pour l‘Afrique Représentant personnel de la Chancelière fédérale pour l’Afrique, ainsi que Délégué du BMZ (Ministère fédéral de la Coopération économique et du Développement) pour l‘Afrique, et al.
Delegationsbericht-Nooke-GHA-CMR_frz_2018

Kulturelle und religiöse Dimension von Nachhaltigkeit in Afrika
anhand der Länderbeispiele Ghana und Kamerun. Bericht einer Delegationsreise im Februar 2018 durch Günter Nooke, Persönlicher Afrikabeauftragter der Bundeskanzlerin und Afrikabeauftragter des BMZ, et al.
Delegationsbericht-Nooke-GHA-CMR_deutsch_2018-04-25

Cultural and religious dimensions of sustainability in Africa taking the examples of Ghana and Cameroon. Report on a delegation journey undertaken in February 2018 by Günter Nooke, German Chancellor’s Personal Representative for Africa, BMZ’s Commissioner for Africa, et al.
Delegationsbericht-Nooke-GHA-CMR_englisch_2018

Sommaire

  1. Introduction
  2. Eléments sur le Ghana et le Cameroun
  3. Phrases clés extraites de nos rencontres et de nos entretiens
  4. Des conclusions pour un paradigme élargi et modifié de la coopération au développement et pour une pratique correspondante
  5. Recommandations d’action

5.1.  Recommandation I : se montrer sensibles aux questions et spécificités spirituelles et culturelles dans les programmes de coopération au développement

5.2.  Recommandation II: Renforcer ceux qui sont déjà « forts et opérationnels »

5.3.  Recommandation III : Promouvoir dans les communautés locales une certaine égalité entre « quota communautaire » (correspondant au quota de l’État de 50 % en Allemagne) et « quota individuel »

5.4.  Recommandation IV : Développement d’une exposition « Cameroun » de grande envergure (à programmer d’abord en Allemagne)

  1. Les étapes de la mission
  2. Post-scriptum

Messages clés au lieu d’un résumé

Tradition, culture et religion sont des ressources fondamentales génératrices de valeurs – et particulièrement en Afrique.

Elles sont décisives pour bien comprendre les ressorts de la cohésion sociale et les possibilités de développement économique.

Il convient de considérer et d’analyser, chacune pour elle, les situations distinctes prévalant dans divers pays et régions, en allant jusqu’à l‘échelon local ou celui des « Chefs » traditionnels.

Il est certes d’usage aujourd‘hui d’appréhender la pauvreté par le prisme européen qui la réduit presque exclusivement à son niveau matériel. Dès 1984, pourtant, les ministres des pays de la CE constataient l’existence d’une pauvreté culturelle aussi bien que sociale et à des niveaux équivalents.[1] Combattre la pauvreté de manière durable, et pas seulement de manière superficielle, par des approches pragmatiques et des stratégies économiques, implique nécessairement la prise en compte et le respect de dimensions profondes et existentielles qui valent pour les individus comme pour les communautés locales.

Presque partout dans la tradition africaine, tout événement survenant dans le monde matériel revêt aussi une signification dans l’ordre spirituel et y possède son pendant. A l’échelle du monde globalisé, le cheminement européen, marqué par les Lumières et la sécularisation, reste un itinéraire singulier, qui nécessite de notre part une approche particulièrement prudente des dimensions du sacré et de la tradition culturelle.

La délégation a formulé quatre recommandations pour action dans la mise en oeuvre de la future coopération au développement avec les pays africains. Ci-après résumées, on les trouvera plus largement développées un peu plus bas dans le texte:

Nous recommandons la lecture, au § 3 du présent rapport, de quelques-unes des déclarations spontanées qui nous ont été faites; que ceux et celles de nos interlocuteurs cités ici soient remerciés pour leur bienveillante confiance. (Remarque : les traductions de citations dans le texte ci-après n’ont pas statut de traductions officielles).

1.  Introduction

Günter Nooke s’est rendu au Ghana et au Cameroun du 10 au 19 février 2018 dans sa fonction de Délégué personnel de la Chancelière fédérale allemande pour l‘Afrique pour une mission sur « la dimension culturelle et religieuse du développement durable » avec une délégation de représentants de plusieurs disciplines scientifiques et de la société civile afin de mieux y appréhender et comprendre les interactions entre d’une part traditions, culture, religion et de l‘autre les potentiels de développement endogènes. L’objectif de cette mission était d’intégrer plus fortement ces données et leur signification dans un paradigme de coopération au développement élargi et modifié ainsi que dans une pratique les incluant, et de fournir ainsi de nouvelles impulsions pour le nouveau pôle prioritaire d’intervention du BMZ, le Ministère fédéral de la Coopération économique et du Développement, et pour le projet sectoriel « Valeurs, religion et développement«  de la GIZ, l’Agence allemande de coopération internationale.

Tradition, culture et religion sont des ressources fondamentales génératrices de valeurs en Afrique, et par là même décisives pour comprendre le développement économique et les formes de vie au sein de ses sociétés. Elles incarnent en même temps des structures essentielles de pouvoir et d’influence. L’écho que nous ont renvoyé certains de nos interlocuteurs, en nous indiquant que pour la première fois depuis 20 ans, on était venu les voir simplement pour les écouter – sans qu’il ait été question d’aspects financiers ou d‘exigences de calendrier – trahit peut-être une lacune fondamentale de notre coopération au développement sous sa forme actuelle.

Le niveau élevé de fécondité dans les deux pays visités[2] a pour conséquence qu’un accroissement annuel de 2 % du nombre d’emplois y correspond à une croissance zéro par tête d’habitant. L‘accroissement des ressources fiscales de 3,6% pour le Ghana en 2016, de 4,5% pour le Cameroun en 2016, résultant de la croissance du PIB nominal, est consommé à concurrence des deux tiers pour le premier, de la moitié pour le second, par les surcoûts annuels induits entre autres par le système scolaire. D’où l’importance déterminante de bien identifier, d’une part les potentiels endogènes de développement, d’autre part les potentiels endogènes de minimisation des risques.[3]

Parmi les interlocuteurs que nous avons rencontrés dans les deux pays figurent tout particu-lièrement des autorités traditionnelles, répondant aux fonctions de rois/„Chiefs“(chefs) ou Queenmothers / reines mères ainsi que des personnalités dirigeantes de communautés religieuses. Par ailleurs, des chefs d’Etat, des responsables politiques à différents échelons: national, régional ou de district, local (le Minister of Chieftaincy and Religious Affairs ou Ministre des Chefferies et des Affaires religieuses  du Ghana, le Ministre de L’Economie, de la Planification et de l’Aménagement du territoire du Cameroun, des Gouverneurs, une élue maire, la Déléguée aux questions de genres d’un département) ainsi que des représentants à haut niveau de la société civile, des secteurs économique et scientifique et d’organisations non gouvernementales.

2. Eléments sur le Ghana et le Cameroun

Les entretiens que nous avons pu mener au Ghana ont fait apparaître que ce pays, par-delà de multiples changements pacifiques de gouvernement, doit pour l’essentiel sa remarquable stabilité politique à une division du pouvoir en structures horizontales parallèles de plusieurs pôles de pouvoir et d‘acteurs.

Pôle d‘acteurs 1 : Certes, si, en comparaison avec l’Allemagne, les échelons étatiques ne sont encore que faiblement développés, ils le sont en revanche fortement en comparaison avec les autres pôles d’acteurs, lesquels ne les remettent pas en question.

Pôle d‘acteurs 2 : L’échelon traditionnel des rois (appelés « chiefs » depuis la colonisation du pays par la Grande-Bretagne; on pourrait aussi les qualifier de « princes » [« Fürsten »] sur la base de nombreuses similitudes avec le système nobiliaire de l’Allemagne médiévale) dispose en pleine autonomie de plus de 80% du territoire national, et n’est pas subventionné par l’Etat. A l’échelon national, les « Chiefs » – qui, pour la plupart, bénéficient d’une excellente formation et sont des chefs d’entreprise indépendants aux résultats flatteurs – sont représentés au sein de la „National House of Chiefs“ (Maison, ou Chambre nationale des chefs). A l’échelon régional, on retrouve la même architecture. Les principales personnalités féminines coexistant avec les « Chiefs » dans le système traditionnel sont celles qu’on appelle « Queenmothers » (reines-mère), qui ne sont ni épouses ni mères, mais plutôt des sortes de marraines du « Chief », issues de la même lignée royale. Les Queenmothers incarnent la représentation féminine à la cour, et s’occupent en particulier de toutes les questions concernant les femmes et les enfants. Un rôle essentiel leur est dévolu dans les décisions de succession.

Pôle d‘acteurs 3 : Les communautés religieuses exercent conjointement une activité de médiation au sein du « National Peace Council », ainsi que dans les « Regional Peace Councils » et dans les Conseils de la paix locaux. Tous nos interlocuteurs ont été d’accord pour considérer que tous les habitants du Ghana étaient religieux (“You do not have to tell our children who God is – they know it.”). Le recensement de 2010 indique pour le Ghana 5 % d’adeptes des religions locales traditionnelles, près de 20% de musulmans et 70% de chrétiens (dont 13% de catholiques, 18 % de protestants des Eglises missionnaires historiques, 28 % dans les Eglises pentecôtistes et les mouvements charismatiques, 11% dans d’autres Eglises chrétiennes – et ce sont surtout les Eglises charismatiques qui connaissent un afflux spectaculaire). Ces chiffres statistiques ne suffisent pas pour illustrer l‘importance des chevauchements syncrétiques dans la vie religieuse des individus ; une partie importante de la population marie ainsi ses convictions fondamentales issues de la tradition avec des pratiques chrétiennes ou islamiques, et parfois avec les deux.

Les religions importées de l’extérieur en Afrique de l’Ouest ont trouvé à se contextualiser de multiples manières dans la spiritualité africaine On constate la même évolution dans les Eglises pentecôtistes, critiques envers la tradition, et qui exercent un attrait particulier sur une grande partie des jeunes du pays. Certains observateurs disent même qu’elles sont actuellement le creuset de la future classe dirigeante d’un grand nombre de pays africains : Les Eglises pentecôtistes métamorphosent la cosmologie africaine traditionnelle (en célébrant toujours un Dieu créateur tout comme le font les religions abrahamiques, et bien loin du dispositif anthropologique de l’animisme) en une théologie du Saint Esprit et de l‘ Empowerment personnel. Cette théologie incite les individus à laisser derrière eux la posture de la victime et à rechercher le succès dans leur vie, aussi bien dans leur existence personnelle que dans leurs efforts économiques ainsi que sur la voie de leur accomplissement spirituel (et donc pas dans l‘au-delà de l‘existence, comme dans les sociétés matérialistes de l’Occident !). Une coopération au développement visant un impact durable se devrait de prendre en compte cette disposition spirituelle fondamentale spécifique et partout présente, sauf à produire involontairement des effets désintégrateurs.

Pôle d‘acteurs 4 : L’échelon communal existe, mais il est faiblement développé.

Pôle d‘acteurs 5 : Le Royaume ou Empire historique des Ashanti nourrit le récit national du Ghana, ciment d’une nation comptant plusieurs centaines de groupes ethniques et linguistiques. C’est ainsi par exemple que le roi des Ashanti a joué un rôle important dans l’épisode de transition pacifique du pouvoir fin 2016, en s’engageant pour que le NDC (Congrès démocratique national) perdant de l’ex-Président Mahama reconnaisse sa défaite et ne conteste pas le résultat des élections. De la même manière, les interventions publiques de l’Imam national du Ghana pour résoudre de manière non violente des conflits d’intérêts dans le pays ont déjà permis de déminer plusieurs fois des situations critiques auquel il se trouvait exposé, ouvrant la voie à une résolution pacifique de ces conflits.

Le modèle démocratique occidental repose sur la maturité de l’individu, qui assume sa part de responsabilité pour lui-même et pour les autres. De la même manière, le modèle économique néolibéral part de décisions préférentielles prises à l‘échelon individuel. Ils sont, l’un comme l’autre, incompatibles avec les manifestations concrètes de la spiritualité au Ghana, qui restent plutôt ancrées dans un attachement à la communauté hérité de la tradition et de la religion. Les occidentaux ont du mal à comprendre qu’au Ghana, comme dans de nombreux autres pays d’Afrique, tout événement ou fait matériel a systématiquement, et souvent d’emblée, une dimension spirituelle – c’est un problème central des approches tentées jusqu’ici en matière de coopération au développement, aussi bien au plan de la politique économique qu’à celui de la théorie politique. Jusqu’ici, cet aspect n’avait été ni suffisamment compris, ni apprécié à sa juste valeur, et pas davantage pris en compte dans la planification des projets. Il en résulte que les projets ne mènent pas toujours à des structures durables : la plupart du temps, on intervient alors dans leur cadre à un niveau superficiel qui n’est en rien relié aux couches profondes de la culture, quand il ne se retrouve pas en totale contradiction avec elles, et les blesse par l’application d‘une logique purement dictée par des considérations matérielles et économiques.

En définitive, et en dépit du soutien apporté depuis de longues années par l’Allemagne et par d’autres pays bailleurs ainsi que par des organisations internationales, l’économie du Ghana n’a pas suffisamment progressé pour être à même de proposer à ses habitants, et particulièrement à ses jeunes, des perspectives et débouchés suffisants. Cela se traduit par un climat de frustration, de mécontentement, et les pousse à affronter des risques sérieux et à engager des frais élevés pour émigrer.

 

Au Cameroun, notre délégation a rencontré une situation fondamentalement parallèle qui, cependant, se retrouve dans un contexte politique différent. Au lieu des multiples alternances pacifiques au pouvoir qu’a connues le Ghana, le Cameroun fait l’expérience de la présidence de longue durée de Paul Biya (au pouvoir depuis 1982), qui a mis en place un système pyramidal de verticalité du pouvoir essayant d’intégrer toutes ses composantes en les unifiant. Cependant, cette intention unificatrice devient de moins en moins efficace.

Le Cameroun a la réputation d’être une Afrique en miniature, car réunissant sur son territoire toutes les zones de végétation qu’on peut trouver en Afrique, de la forêt tropicale humide à la savane, en passant par des paysages de collines et par de hautes montagnes (culminant à 4.095 m). Le Cameroun est un melting pot d’environ 250 ethnies et langues, dont le tracé de frontière remonte à des ententes entre les puissances coloniales française et britannique qui avaient pris la place de la puissance coloniale allemande (de 1884 à 1916, le Cameroun fut un « protectorat » de l’Empire allemand, certes peuplé de très peu d’Allemands [181 en 1897 ; 1.000 en 1911], et qui ne généra que des performances négatives pour le budget de l‘Empire).

Les deux Régions anglophones – sur les dix que compte le Cameroun aujourd’hui – ont été attribuées en 1961 au Cameroun suite à un référendum organisé par l’ONU, assorti de la promesse d’un rattachement à un Etat fédéral (la partie septentrionale du territoire soumis à cette consultation est revenue, elle, au Nigeria). En 1972, la République fédérale du Cameroun a été renommée en République unie du Cameroun. En 1984, cet Etat a retrouvé sa dénomination originelle de République du Cameroun, contre la volonté de nombreux anglophones. Le sentiment exprimé par ces derniers d’être insuffisamment représentés politiquement entraîne depuis longtemps des tensions qui ont débouché sur des conflits ouverts à l’automne 2016 (manifestation des avocats), et même, depuis l’automne 2017, sur des affrontements armés. Selon quelques-uns de nos interlocuteurs, les autorités gouvernementales restent fermées à tout dialogue approprié. De nombreux villages ont été incendiés, vraisemblablement par des éléments des forces de sécurité gouvernementales. Peu après le départ de notre délégation de Buéa le 18 février, un nouvel accrochage mortel est venu émailler ce conflit à quelques kilomètres à peine de distance de notre groupe. Dans d’autres régions, le malaise latent qui règne suite au sentiment d‘ insuffisante intégration des anglophones au sein de ce régime unitaire, a dégénéré sous forme d’émeutes. Une pacification avant les élections présidentielles prévues à l’automne 2018 est improbable. La fermeture de la frontière avec le Nigéria entre octobre 2017 et janvier 2018 a été l’occasion de donner un coup de projecteur sur la menace économique et politique qui pèserait sur l’ensemble de la région d’Afrique centrale en cas d’implosion de l’Etat camerounais. La question de savoir si des intérêts sous-jacents jouent un rôle dans le conflit, et si oui lesquels, n’a pas été l’objet de notre voyage et n’aurait pas davantage pu être éclaircie dans ce cadre.

Un tel éclatement de l’Etat camerounais et une extension du conflit armé entraîneraient des coûts très considérables pour les Etats membres de l’UE. Renforcer les structures extra-étatiques, également dans la perspective de ces frais collatéraux, répond aux intérêts de l‘Allemagne et semble être une nécessité prioritaire. Parmi les structures extra-étatiques figurent :

Les violences exercées par des femmes contre d’autres femmes sous forme de mutilations génitales dans le nord du pays et par la pratique du repassage des seins des jeunes filles, en particulier dans le sud de la Région du Littoral (24% de l‘ensemble des femmes camerounaises y auraient encore été soumises selon une étude faite par la GTZ – la Gesellschaft fûr technische Zusammenarbeit, ou Coopération technique allemande – en 2006) sont socialement induites – aucune motivation religieuse n’expliquant ces pratiques. Nos interlocuteurs ont fait part d‘un rapport possible entre la diminution actuelle de cette pratique du repassage des seins et le changement de perception intervenu sur les critères de beauté (Meiway 2002 : « Miss Lolo »; une induction de modèles culturels par des moyens artistiques).

Le récit national dominant est lié au culte du Président ; dans de nombreuses prières avant le repas, nos interlocuteurs ont intercédé pour son bien-être. Ce rite incite certes à en déduire un certain degré d’estime que de larges couches de la population portent à leur Président. Il reste que, comme dans beaucoup d’autres pays d’Afrique, le « système Biya » est lié à la personne du Président, mais n’est pas inscrit dans la durée. Jusqu’ici en effet, Biya n’a pas mis le pied à l’étrier d’un possible successeur et aucune autre formule n’est connue qui permettrait d’envisager la possibilité d’une balance of powers dynamique.

3. Phrases clés extraites de nos rencontres et de nos entretiens

« Hommes et femmes sont plongés dès leur naissance dans un système ordonné par un savoir universel. Loin d’être obligés de rejeter ce système, ils peuvent l’étendre. Les projets de déve-loppement doivent reposer sur ce socle de sagesse et de culture ainsi que sur le savoir indigène des êtres humains. » (Center for Indigenous Knowledge and Development of Organizations. Ghana)

A la question de savoir quel est le principal défi auquel il doit faire face en tant que « Chief » dans son royaume, il répond : « c’est de modifier les comportements. » (House of Chiefs, Ghana)

»Rien, absolument rien : les choses adviennent, tout simplement. Tout a une signification spirituelle. » (National Peace Council, Ghana)

« La sagesse des religions africaines locales avec leur perception d’une nature animée et sacrée, et avec le lien qu’elles tissent entre les générations passées, actuelles et futures, est une ressource décisive pour assurer la protection des espaces de vie naturels et un développement durable à long terme. » (National Peace Council., Ghana)

»Les jeunes Ghanéens sont prêts aujourdhui à se laisser enchaîner de leur plein gré sur des bateaux négriers pour quitter ce pays – et pour n’importe quelle destination, pourvu qu’elle leur offre une perspective. » (le directeur-gérant d’un « café culture » de Jamestown à Accra, Ghana)

« L’Occident tue notre tradition. Le principe selon lequel ‚Nous sommes tous égaux‘ mène chez nous à la désintégration du tissu social dont nous avons hérité, à la suite de quoi le vivre ensemble ne fonctionne plus. On ne respecte alors plus les Anciens. » (une Queenmother au Sunyani House of Chiefs, Ghana)

»Nous devons former / éduquer les parents, ce sont eux qui permettent de traverser le désert. » (une Queenmother, Ghana)

»Il n’est pas possible de prédire clairement si nous pourrons sortir gagnants à long terme de la démarche entreprise pour lutter contre la mondialisation en nous appuyant sur nos structures traditionnelles. » (une Queenmother, Ghana)

»La spiritualité des êtres humains ne saurait être attaquée ou menacée par des logiques qui viennent du dehors. Si la tradition spirituelle est préservée, si elle n’est pas soumise à pression, elle restera suffisamment forte pour être capable d’évoluer sur certains points sans qu’on doive pour autant renoncer complètement à elle. » (La Déléguée aux questions de genres de la Région de Brong-Ahafo, Ghana)

« Les us et coutumes traditionnels entrent en contradiction avec nos lois. La mise en oeuvre des pratiques traditionnelles entre en contradiction avec les obligations internationales et avec les lois nationales ».  (Le responsable de projet d’une ONG à Sunyani, Région de Brong-Ahafo, Ghana)

« Les autorités spirituelles associent les êtres humains à leur histoire et à leur identité. Leur autorité vient de Dieu. La tradition spirituelle dote les êtres humains de la reconnaissance et de l’estime de soi. Les lieux saints sont toujours liés aux ancêtres. Aujourd’hui, l’équilibre entre la communauté et l’individu est perturbé. L’individu et la communauté ne sont plus en équilibre, ils ne sont plus en harmonie. » (Discussion avec des chefs traditionnels à la Fondation Konrad Adenauer de Yaoundé, Cameroun)

« Nous avons besoin d’une formation religieuse pour rester capables de parler et de dialoguer, et pour être à même d’échanger pacifiquement sur nos traditions comme sur nos croyances et convictions. Une fois que nous aurons clarifié sur cette base nos traditions respectives, nous pourrons alors négocier sur l’interprétation des évolutions et sur la manière de les intégrer. Les traditions spirituelles ne sauraient être détruites, on peut parfaitement au contraire les intégrer. » (ACADIR – Association Camerounaise pour le Dialogue Interreligieux).

»Tout est spirituel et tout a une signification spirituelle. » (Discussion avec des chefs du Grassland camerounais)

« Le pire pour nous, c’est que nous sommes vos mendiants. » (Discussion avec des chefs tradi-tionnels de la Région des plateaux et des prairies au Cameroun)

« Crois-tu à la malédiction? Et crois-tu à la bénédiction et aux bienfaits ? » (Discussion avec des Chefs du Grassland camerounais)

« C’est la première fois depuis plus de 20 ans qu’on nous a écoutés. » (Discussion avec des chefs du Grassland camerounais)

»Il faut beaucoup de temps pour faire évoluer une communauté humaine tout en respectant ses valeurs. » (Projet de la GIZ et de la KfW – la Kreditanstalt für Wiederaufbau, ou Banque pour le développement – dans le Parc National du Mont Cameroun)

»Tu ne peux pas aider au développement d’une personne sans développer sa personnalité. Dès lors que tes interlocuteurs ont l’impression que tu veux détruire leur personnalité, ils vont s’y opposer. Fais évoluer les êtres humains en même temps que leur personnalité, contribue à ce qu’ils ne perdent pas leur personnalité. » (Entretien avec un chef de la Région du Littoral)

« Les religions locales, qui règlent les rythmes de la vie (les périodes taboues, pendant lesquelles il faut s’abstenir de pêcher et de cultiver la terre) et qui perçoivent la nature comme animée et sacrée, sont un puissant facteur de protection de l’environnement. » (Projet de la GIZ et de la KfW dans le Parc National du Mont Cameroun)

»Un chef d’entreprise aura du succès dès lors qu’il intégrera la dimension spirituelle dans son entreprise et qu’il représentera lui-même une autorité spirituelle. Nous nous servons du système des chefs comme d’un réseau. » (Des patrons camerounais, qui ont fait des études en Allemagne)

« Les autorités religieuses traditionnelles sont par essence gardiennes de la tradition, elles ne sont pas porteuses d‘innovation. Mais développement et innovation ont aussi besoin de cette sauvegarde de la tradition, et doivent trouver le bon équilibre avec elle. » (Des patrons camerounais, qui ont fait des études en Allemagne)

4. Des conclusions pour un paradigme élargi et modifié de la coopération au développement et pour une pratique correspondante

Les processus d‘affirmation culturelle et le renforcement de la mémoire culturelle, la préservation de la richesse des traditions et de leur signification peuvent contribuer à ce que les pays de l‘Afrique de l‘Ouest, qui sont heterogenes en soi et arbitrairement regroupés ensemble par les frontières coloniales, peuvent former une identité et un récit « national » dans lequel la diversité et l‘unité sont mises en équilibre.

Le renforcement de ces processus larges et participatifs est dans l’intérêt de la coopération au développement, qui vise à contribuer à la stabilisation des sociétés et à contrer la désintégration des États. Lorsque les traditions locales sont abordées avec respect et intérêt et sont considérées et estimées comme pertinentes, dignes d’être préservées et réellement enrichissantes (pas seulement dans les musées), les gens, en particulier dans les zones rurales et éloignées, ont l’impression d’être réellement entendus. Cela renforce leur identité culturelle.

Pour que la coopération au développement intègre les individus et les communautés et stabilise leur potentiel endogène de résilience, il faut qu’elle tente de comprendre les structures culturelles et religieuses traditionnelles, et les certitudes des pays cibles qui en découlent pour les individus et les communautés, les respecter, et construire activement leur travail dans un dialogue ouvert avec cette autre dimension de la réalité. L’ignorance (trop souvent dominante dans la pratique de la coopération au développement) au sujet des structures culturelles et religieuses traditionnelles cause la décohésion des individus et des communautés et blesse les personnes et les groupes dans leur identité. Une telle tentative de dialogue nécessaire reste souvent infructueuse, et peut même contribuer à la dissolution des identités et des structures sociales et donc à un développement négatif, car il réduit les potentiels de résilience endogène. Cette déclaration de base n’a pas pour but de passer sous silence les bons exemples qui existent déjà dans la coopération bilatérale au développement. La délégation a pu voir par elle-même comment les structures traditionnelles sont prises en compte dans les projets, par exemple dans la protection des forêts et dans la promotion du développement municipal au Cameroun. La coopération au développement en Afrique de l’Ouest et du Centre (mais pas seulement dans ces zones-là) devrait prendre conscience du fait qu’elle opère dans un espace où les niveaux matériel et spirituel sont inséparables l’un de l’autre dans tous les domaines de la vie et ont en fait la même pertinence. Pour une coopération au développement réussie, il ne suffit pas de se mettre d’accord sur des projets avec le seul gouvernement actuel ; ce lien entre les niveaux matériel et spirituel doit être pris en compte et la diversité des acteurs doit être intégrée. Les projets exclusivement destinés à améliorer les conditions de vie matérielles et/ou situés dans le secteur économique ou politique doivent être examinés sous l’angle de leur pertinence spirituelle (qui n’est généralement pas visible aux yeux des Occidentaux au premier abord), reconnus et analysés en coopération avec les partenaires locaux pour trouver un moyen approprié de les traiter.

Les profils de carrière dans la coopération au développement (ambassade, GIZ, KfW, fondations politiques, organisations internationales, ONG, etc.) devraient être élargis pour inclure la formation de base et la sensibilisation dans le domaine de l‘ « alphabétisation religieuse » / « alphabétisation culturelle » dans laquelle la connaissance est transmise d’une part, mais surtout dans laquelle sont aussi abordées les attitudes qui sont appropriées pour traiter les dimensions de sainteté et d’indisponibilité. Cette attitude comprend également la capacité et la volonté de présenter ses propres valeurs et ses modes d’interprétation de les faire participer au dialogue et de les faire se remettre en question. Il est évident que cela pose problème pour une personne moderne d’Allemagne qui est habituellement « religieusement non-musicale »“ (Max Weber).

Inversement, la compétence de gouvernance inclut également tout au plus un sentiment – d’un point de vue allemand –, d’un statut d’État formel des structures juridiques nationales en Afrique de l’Ouest. Elle est incompatible avec l’internalisation des principes directeurs culturels par la grande majorité de la population allemande, comme il est d’usage en Allemagne.[4] La plaque « Ministère » sur un bâtiment n’avait pas pour but de dissimuler l’absence nécessaire d’un « bâtiment de l’intérieur » par l’État (Richard Wagner 1872).

En ce qui concerne la promotion de la bonne gouvernance et les projets de démocratisation, il ne peut pas être durable d’établir une structure démocratique avec une justification laïque du pouvoir dans un environnement culturel et religieux dans lequel l’autorité, l’exercice du pouvoir et le leadership sont fondamentalement d’importance religieuse. Le modèle occidental de démocratie, basé sur l’individu mature qui prend ses propres décisions responsables et pragmatiques dans un cadre immanent, n’est pas compatible avec les formes de spiritualité socialement et individuellement ancrées du Ghana ou du Cameroun.

La mise en œuvre de processus démocratiques formels (élections, etc.) dans les pays partenaires de la coopération au développement devrait s’accompagner d’une contextualisation progressive des principes démocratiques dans et avec les traditions et modes de pensée existants. Dans le dialogue, il est possible de négocier au cas par cas comment une gouvernance responsable, l’articulation et la prise en compte des votes des minorités, la garantie des droits de l’homme et de la sécurité juridique, le contrôle de l’exercice du pouvoir et des ressources financières et la prise de décision peuvent être justifiés et façonnés avec la participation du plus grand nombre possible de citoyens. Cela est toujours en rapport avec les idées culturelles et religieuses des individus et de la société, de l’autorité et du leadership, qui sont présentes localement et socialement acceptées.

Le dialogue avec les structures culturelles et religieuses traditionnelles et les certitudes ne doit pas se dérouler dans une attitude tactique et stratégique qui tenterait d’intégrer le plus efficacement possible son propre programme dans les structures existantes sur le terrain afin d’obtenir un rendement plus élevé. Une telle instrumentalisation ignore l’importance inconditionnelle des dimensions culturelles et religieuses pour les partenaires – qui sont décrites avec les concepts de sainteté et d’indisponibilité et doivent donc être reconnues et respectées d’une manière spéciale.

Il faut des formats de sensibilisation dans lesquels les deux parties – en particulier dans le cas de positions ou de structures de pouvoir différentes au sein du pays – sont intégrés la connaissance profonde de l’autre, l’écoute, la négociation précautionneuse des valeurs et des objectifs communs centraux dans la coopération au développement sur la base de règles – avant d’engager des ressources financières et aussi pendant qu’elles sont mises en place. A l’achèvement d’un projet, il convient d’évaluer de manière indépendante, avec les groupes dans lesquelles vies le projet concerné est intervenu, si les structures culturelles et religieuses traditionnelles et les certitudes ont été renforcées ou endommagées par cette coopération, ou si le meilleur des cas un mouvement, une transformation a eu lieu qui rend les changements et les défis futurs plus faciles à maîtriser.

Car il ne s’agit pas de considérer les structures traditionnelles et les certitudes spirituelles des groupes cibles commes des „monuments protégés“ et de les déclarer inviolables. Ils devraient plutôt être valorisés de manière respectueuse. Nous devrions apprendre à entamer un véritable dialogue avec ces personnes et essayer de clarifier comment elles peuvent interpréter et accompagner le changement dans différents domaines de la société. Là où ce dialogue et donc la contextualisation des mesures de développement n’a pas lieu, les deux parties (tradition et changement) perdent leur crédibilité et laissent les gens désorientés.

5. Recommandations d’action

5.1. Recommandation I : se montrer sensibles aux questions et spécificités spirituelles et culturelles dans les programmes de coopération au développement

« L’illusion de l’Occident tenait à son matérialisme naïf qui le faisait attendre qu’une amélioration des conditions économiques déboucherait sur une culture de la démocratie, laquelle générerait alors pluralisme, tolérance et religion éclairée. L’Occident considérait la culture comme le facteur mou, subordonné aux facteurs économiques durs. Or nous le savons aujourd’hui : c’est le contraire. Le facteur dur, c’est la culture. » (J. Jessen, L’Afghanistan est perdu, paru dans “DIE ZEIT, le 8/3/2012)

« Le géant borgne avait la science sans la sagesse, et il entra par effraction dans d’anciennes civilisations qui (à l’instar de l’Occident médiéval) avaient la sagesse sans la science » (D. Goulet, The One-Eyed-Giants. In : Gaspar / St Clair, Development Ethics 2010.)

Lors de la conception, la mise en œuvre et l’évaluation des programmes de politique de développement, une plus grande attention devrait être accordée aux contextes culturels spécifiques, aux valeurs pertinentes pour les personnes dans des situations concrètes de la vie, à leur religion et à leur spiritualité. Il faudrait développer une stratégie de base qui inclut le respect de la dimension du sacré et de l’indisponible qui continue à façonner et à lier les peuples du Ghana et du Cameroun ; le document politique du BMZ „Religions comme partenaires dans la coopération au développement“ va déjà dans cette direction et devrait maintenant être traduit en stratégies spécifiques à chaque pays. La prise en compte de l’équilibre des pouvoirs spécifiques à l’Afrique (autorités spirituelles et dirigeants de toutes sortes) avec ses pôles et niveaux d’acteurs complexes est nécessaire à la réussite des programmes et des projets concrets.

Il est temps de reconnaître son propre angle mort et ses effets destructeurs dans la coopération au développement – et de rouvrir les yeux sur la sagesse, la spiritualité et la sainteté, au moins dans la vie de nombreuses personnes dans les pays partenaires sans les fermer devant la corruption, la kleptocratie et le népotisme. Pour cela, il est nécessaire de remettre en question et de manière critique sa propre vision du monde et ses positions classiques, qui limitent la religion et la spiritualité à la sphère privée, et de ne pas simplifier et universaliser la voie européenne des Lumières et de la sécularistion, qui ne s’applique qu’à une fraction de la population mondiale. Ce défi est d’autant plus difficile à relever que, par exemple, l’idée des droits de l’homme universels ne doit pas être abandonnée (Nooke 2008).[5] Ainsi, cependant, on se retrouve directement dans le conflit entre les revendications juridiques de base individuelles et l’influence souvent déstabilisante et associée à’une certaine identité de groupe (indigène) ; particulièrement intéressant et complexe dans l’exemple du droit humain à la liberté religieuse, que tous les acteurs peuvent (devraient) revendiquer pour eux-mêmes (Nooke 2016).[6]

L’approche du « ne pas nuire »devrait également s’appliquer aux dimensions culturelles et religieuses du développement durable. En ce sens, une attitude fondamentalement appréciative exige que les projets et les méthodes de travail développés selon la logique occidentale soient revus : Le bien ne peut pas non plus se situer exclusivement dans les ONG et les initiatives en faveur des droits de l’homme, pas plus que les initiatives du secteur privé ne sont fondamentalement problématiques – bien au contraire. Les initiatives et le personnel du gouvernement peuvent également agir avec compétence et en tenant compte du contexte et obtenir des résultats mieux intégrés dans les structures sociales locales que les organisations établies avec un soutien externe qui tentent de mettre en œuvre un programme piloté par les donateurs. Les églises pentecôtistes nouvellement formées et en forte croissance renforcent la subjectivité des personnes et peuvent les motiver à l’engagement professionnel et social et à la promotion sociale. Dans cet environnement, cependant, il y a aussi des groupes qui rendent les gens dépendants de leaders spirituels qui ont un effet manipulateur et qui gèrent leur « communauté de croyants » comme leur propre modèle d’affaires. La coopération au développement ne doit pas consister à évaluer le „bon“ et le „mauvais“ selon sa propre vision du monde et à promouvoir ceux qui correspondent le mieux à ses propres valeurs. Il faut plutôt tenter – et ce expressément en conscience de leur représentativité souvent problématique – de connaître les groupes sociaux et leurs récits identitaires, de mener avec eux un véritable dialogue sur les valeurs et les objectifs et de permettre ainsi aux gens de se développer durablement en harmonie avec leur identité tout entière. On ne doit pas ignorer sa propre foi (qu’il s’agisse du christianisme, de l’islam ou d’une vie dans la religion et la tradition locales) pas plus que l’on ne doit parler d’une neutralité des valeurs inexistante. Un travail éducatif qui reprend et intègre les fondements religieux et culturels existants et les récits significatifs des personnes peut soutenir un développement holistique dans sa dimension de profondeur. Quelle que soit leur justification, tous les programmes et projets restent attachés à la protection des droits fondamentaux de l’homme pour tous. Cependant, ces justifications et leurs conséquences doivent être discutées et rendues visibles afin de ne pas travailler ensemble de manière pragmatique en surface et de négliger les logiques propres implicites et réfléchies et leurs effets.

En ce sens, une coopération au développement qui est didactiquement à jour devra repenser le statut du sujet de son homologue et apprendre à comprendre la participation d’une manière différente. Ce ne sont pas « nous » qui permettons aux groupes cibles de participer aux projets – c’est tout l’inverse.[7]

Le fait qu’il soit difficile d’ignorer le courant dominant de la fin des Lumières a déjà été déterminé clairement, notamment lorsque le thème de la religion et du développement a été établi dans le BMZ et dans le projet sectoriel « Werte, Religion und Entwicklung | Valeurs, Religion et Développement » (GIZ 2016).[8]

5.2. Recommandation II: Renforcer ceux qui sont déjà « forts et opérationnels »

« Le développement vit des efforts supplémentaires que quelques-uns (veulent et peuvent) fournir. D’où nous viendraient sinon les innovations ? Si donc le nouvel axe visé pour la coopération économique doit être celui d’un développement économique autonome et durable, ne paraît-il pas raisonnable, voire impératif, d’aider aussi longtemps que nécessaire les entreprises privées, avec l’argent des contribuables et indépendamment de la question de savoir d’où viennent les entreprises et les moyens, jusqu’à ce que leurs affaires tournent d’elles-mêmes ? » (G.Nooke, 2018)[9]

Dans les pays où l’État est de facto faible, la stabilité sociale et les opportunités de développement dépendent largement d’un secteur privé développé en dehors des systèmes de favoritisme étatique et paraétatique, capable de construire des chaînes de valeur locales et régionales et suffisamment fortes pour ébranler la promotion de produits occidentaux et asiatiques bon marché (savon français, beurre français dans les hôtels, etc.).

En renforçant les structures individuelles et les entreprises, les potentiels endogènes du pays peuvent être utilisés pour créer des emplois et des chaînes de valeur. Il est logique d’investir dans les petites et moyennes entreprises ou dans des initiatives entrepreneuriales au niveau local – pour renforcer les plus forts au niveau local. Il ne s’agit pas d’une mesure tactique, mais d’une stabilisation durable des structures locales et nationales dans l’intérêt de l’Allemagne et de l’Europe.

Dans le même temps, il faut veiller à ce que la concurrence ne soit pas faussée aux dépens des petites et moyennes entreprises en développement. C’est pourquoi il est particulièrement important de promouvoir l’échange d’informations sur les modèles d’entreprise réussis, conformément aux valeurs traditionnelles. Cela exige essentiellement l’inclusion des femmes. Volker Seitz, ancien ambassadeur d’Allemagne à Yaoundé et auteur du livre « L’Afrique se voit gouvernée vers la pauvrete » (« Afrika wird armregiert »), offre à l’occasion de la Journée de la femme 2018 son diagnostic : « La politique allemande de développement ne doit pas seulement évoquer la promotion de la femme, mais aussi la mettre en pratique. Les élites masculines de l’Afrique ne remplissent que partiellement, insuffisamment ou pas du tout les promesses qu’elles ont faites aux pays donateurs. […] Les femmes sont beaucoup plus productives en Afrique que les hommes. Si elles étaient mieux éduquées et possédaient des biens, cela pourrait signifier un énorme bond en avant dans le développement. Leur inégalité juridique rend plus difficile leur accès aux ressources sociales et économiques. L’égalité culturelle, pratique et juridique entre les femmes et les hommes aurait un impact majeur sur le développement économique global de l’Afrique car, selon la Banque mondiale, les femmes sont beaucoup moins sensibles à la corruption que les hommes. »[10]

5.3. Recommandation III : Promouvoir dans les communautés locales une certaine égalité entre « quota communautaire » (correspondant au quota de l’État de 50 % en Allemagne) et « quota individuel »

Le taux de chômage des jeunes dans les régions rurales du Cameroun, en particulier dans les régions périphériques, est souvent de plus de 60 %. Le système scolaire est étonnamment bien développé et répond de manière assez satisfaisante à l’accroissement annuel des besoins de plusieurs pour cent par an en établissements scolaires, en enseignants et en équipements ; mais il vise unilatéralement à diplômer des cols blancs dont on a peu besoin dans le pays, et particulièrement à la campagne. Faute de débouchés sur place, l’exode vers les grandes villes et l’émigration vers l’Europe atteignent des taux élevés, estimés à notre demande à 50% des cohortes de jeunes âgés d’environ 20 ans.

Alors qu’une agriculture de subsistance sur des bases communautaires était dominante dans la période précoloniale – et même après la période coloniale dans les régions périphériques –, le modèle financier s’est considérablement modifié pour prendre la forme d’une économie monétaire sur des bases individuelles et sans biens communs. Les communautés locales du Cameroun sont très éloignées du modèle prévalant en Europe centrale et occidentale, réparti en un quota de l’Etat de 50% et un quota individuelle également de 50%. Nombreux sont ceux qui perçoivent le quota de l’Etat ou le quota communautaire plutôt autour de 0% (puisque les bénéfices ne sont pas visibles et qu’il n’y a pratiquement pas d’infrastructure publique), voyant chez les autres, et souvent chez eux-mêmes, la nécessité d‘un quota individuelle de presque 100% (particulièrement pour faire face aux impératifs de prévention individuelle et familiale, et aussi faute de pouvoir compter sur un système développé de couverture maladie et de retraites).

Face à ce constat général, le Programme for the Sustainable Management of Natural Resources in the South West Region of Cameroon (Programme de gestion durable des ressources naturelles dans la Région du Sud-Ouest du Cameroun) de la KfW au Mont Cameroun peut servir de modèle.[11] Il a conduit à un renforcement des structures traditionnelles, utilisées entre-temps par les membres de la communauté ensemble avecs leurs autorités traditionnelles, pour réaliser leurs propres projets au-delà des activités relevant de la coopération au développement. Pour élaborer un dispositif de propriété collective des infrastructures (eau, eaux usées, électricité, voirie, gestion des déchets, etc.) et tout particulièrement des entreprises privées susceptibles de couvrir à long terme 50% des biens locaux, il faut commencer par créer les conditions psychologiques appropriées. C’est sur cette base, à la fois de confiance, et aussi de pression interne exercée par les chefs et les communautés, que peuvent ensuite être développées – par les acteurs eux-mêmes – des chaînes de valeurs locales et régionales. Les tontines ou des programmes tels que le réseau d’établissements de microcrédit MC2 de la Banque Afriland First Bank représentent une bonne base pour le financement de projets à partir de micro-crédits dans les villages et les communités, assurant souvent des taux de remboursement élevés.

Il serait utile de soutenir des concepts qui soient à la fois considérés comme culturellement acceptables par les communautés concernées et viables économiquement – par exemple un concept attribuant 50% des prestations sociales réalisées et des revenus générés à la communauté, et 50% des revenus aux individus. C’est d’ailleurs dans ces termes que s’est exprimé un membre du Groupement inter-patronal du Cameroun, lequel attendait comme contrepartie d’être accueilli dans le cercle des nobles qui conseillent le chef / roi de son lieu d’origine. Il serait également pensable d’ouvrir de nouvelles voies permettant de proposer une offre de biens et de services exempte de toute corruption, concernant leur fourniture et leur répartition en échange de modèles déjà développés dans d’autres parties du monde, et en recourant aux technologies de l’information et de la communication. Il importe, surtout dans des régions rurales, de veiller à ce que le type d’entreprise choisi soit à la fois accepté par le collectif des habitants et économiquement praticable. C’est à des groupes de population restreints au niveau local (comme des communautés villageoises) que de telles solutions paraissent être plutôt bien adaptées. Il serait particulièrement utile d’entreprendre des recherches plus poussées dans ce secteur, aussi bien d’ailleurs dans des facultés de sciences économiques sur place que dans le cadre de projets scien-tifiques de coopération en Allemagne.

5.4. Recommandation IV : Développement d’une exposition « Cameroun » de grande envergure (à programmer d’abord en Allemagne)

Chaque jour, l’armée allemande stationnée au Mali attire l’attention sur les coûts collatéraux élevés de l’instabilité des États africains. Pour rappel, la participation allemande à la MINUSMA au Mali coûte aux seuls contribuables allemands 163 millions d’euros par an ; l’ONU estime ce montant à 944 millions d’USD par an pour la MINUSMA.[12] La zone économique du Cameroun est beaucoup plus vaste et, en cas d’implosion, beaucoup plus difficile à sécuriser que le Mali.

Le travail de prévention de la politique culturelle – par ailleurs éligible à l’aide publique au développement (APD) – ne serait-il pas plus sensé (et dix fois meilleur marché) que des opérations de suivi militaire a posteriori ? Si l’objectif d’une telle politique étrangère est de stabiliser les forces endogènes, comment y parvenir le plus facilement et le plus prudemment ? Qui est le plus à même d’agir, sinon les forces extra-étatiques dont dépendent de manière décisive la coexistence pacifique du pays et de la région pour réunir les potentiels et les problèmes écologiques, culturels, sociaux et économiques du pays dans une image réaliste ? Les autorités traditionnelles, les communautés religieuses, les entreprises, le milieu urbain-intellectuel, la société civile au sens large ? Les forces extra-étatiques ne pourraient-elles pas travailler ensemble sur une grande exposition « Cameroun », où l’on trouverait des contenus et des formats à travers la possibilité de conduire cette exposition en Allemagne ? Pour que le chemin soit essentiellement déjà l’objectif en soi ? Le préambule de l’UNESCO fait déjà mention aux représentations du monde, dans les « esprits des hommes » dans lesquels la guerre surgit et la paix peut croître dans l’avenir. Le travail sur les « esprits des hommes » va bien au-delà des « facteurs socio-économiques » pris en compte jusqu’à présent dans la coopération au développement.

Le récit national qui s’impose naturellement pour un pays aussi complexe que le Cameroun, constitué à partir d‘environ 250 ethnies et autant de langues serait celui de la force par la diversité, telle qu’elle figure comme fondement de la Déclaration Cultural Diversity de l’UNESCO (la Déclaration universelle de l’UNESCO sur la diversité culturelle). Cependant, le nouveau concept du Musée national de Yaoundé a récemment ignoré les sciences internes du pays (dont notamment l‘anthropologie, la muséologie, l’histoire, l’histoire coloniale et l’histoire contemporaine, l’étude des arts dont la musique, la danse, les beaux-arts et les arts plastiques, les sciences de la communication et des médias, les sciences politiques et les sciences sociales, la linguistique, le droit).

Une exposition de grande envergure intitulée « Cameroun » (à programmer dans un premier temps en Allemagne) pourrait tenter de représenter les problèmes et les potentiels du pays pour les générations vivant aujourd’hui au Cameroun de telle manière qu’elle formerait la matrice d‘une exposition permanente de laquelleun nouveau récit national puisse émerger par la suite. La politique culturelle étrangère en bénéficierait grandement. Elle répondrait d’une manière spéciale aux besoins du Cameroun en implosion, tout en s’appuyant sur l’appréciation exceptionnellement élevée de la culture, de l’économie et de la politique allemande au Cameroun et sur la diaspora germano-camerounaise bien formée.

On notera expressément qu’une exposition conçue / élaborée sur place au Cameroun – et appelée à déboucher sur une exposition permanente – fournirait d’un seul coup une contribution déterminante à quatre débats concomitants : à ceux qui ont cours dans le pays (1a) sur le pays et (1b) sur la perspective étrangère sur le pays, celui de l’Allemagne (2a) sur le Cameroun et (2b) sur le contact avec ce dernier.  Le dialogue marqué au sceau du respect mutuel sous-tendant un tel projet constituerait un progrès décisif dans la manière de gérer nos échanges, préférable à une exposition inventée en Europe.

En nous appuyant sur le Centre pour la Coopération entre l’Afrique et l’Allemagne placé sous la direction de David Simo, lauréat de la Fondation Alexander von Humboldt et Président fondateur du Réseau des anciens d’Allemagne au Cameroun, nous pourrions compter sur place sur un interlocuteur expérimenté venant d’un milieu urbain et intellectuel. Quant aux huit ou plutôt aux douze représentants d‘autorités traditionnelles qui ont séjourné ou plutôt vont séjourner – en 2017 et 2018 – en   « visite officielle » en Allemagne, dont le Roi de Batoufam, formé chez les Jésuites, ils constitueraient un groupe équilibré de représentants des autorités traditionnelles. Le chef du Groupement inter-patronal du Cameroun, très germanophile, serait, lui, un représentant important du secteur économique. Grâce à ces acteurs, parmi d’autres à déterminer, le Ministère fédéral des Affaires étrangères pourrait s’engager sur des voies novatrices de notre politique culturelle à l’étranger, en vue de stabiliser les forces endogènes en Afrique centrale, répondant ainsi à une nécessité impérieuse (et compte tenu des coûts que représenteraient des interventions militaires en cas d’éclatement du pays).

6. Les étapes de la mission

Le samedi 10 février, la délégation a pris un vol matinal de Berlin (Tegel) à Accra, via Bruxelles, poursuivant son voyage dès le lendemain matin, le dimanche 11, vers Kumasi, à l’intérieur du pays. A l’invitation du révérend Peter Kwasi Sarpong, ancien archevêque de Kumasi et spécialiste des questions d‘inculturation, elle y a participé, à St. Mary’s Grotto, Suntreso, à un service religieux avec un excellent organiste, un choeur, des tambours, des chants et des danses, auxquels était associée l’ensemble de la paroisse. De retour à Accra, la délégation a rencontré des représentants du National House of Chiefs, parmi lesquels Togbe Afede XIV, Président du National House of Chiefs, et le Roi Agbogbome (Région de la Volta).

Le lundi 12 février, la délégation a rencontré

Dîner à l’invitation de l’Ambassadeur, avec

Le mardi 13 février, nouveau départ en avion pour Kumasi, puis trajet vers Sunyani. Rencontre avec des Queenmothers / Reines mères dans la Région de Brong Ahafo (il s’agissait de »„paramount queenmothers », qui exercent à haut niveau dans la hiérarchie des Queenmothers). Direction des débats par le Dr. Isaac Owusu-Mensah, collaborateur de la Fondation Konrad Adenauer. Cet échange nous a donné un aperçu des réalités et des défis auxquels sont confrontées les autorités traditionnelles au 21ème siècle, éclairant à la fois la coexistence, mais parfois aussi l’antagonisme entre « Etat moderne » et système traditionnel, enfin il nous a renseignés sur le rôle que les autorités traditionelles devraient jouer et joueront à l’avenir. Le projet de coopération avec la Fondation Konrad Adenauer et l’ONG « Center for Indigeneous Knowledge and Organizational Development » (CIKOD) a été évoqué. Les Queenmothers sont les principales représentantes, avec les chefs traditionnels (« traditional Chiefs »), du système traditionnel précolonial au Ghana, lequel garde toute son importance, aujourd’hui encore, en vertu de la Constitution de 1992. Mais les autorités traditionnelles ne s’occupent pas que du vivre ensemble dans la sphère culturelle. Elles sont aussi des instances déterminantes pour assurer la coexistence pacifique des populations, et le développement du pays.

Le mercredi 14 février 2018, départ en avion via Lomé et Libreville à destination de Yaoundé, capitale du Cameroun. Briefing intensif en soirée à Yaoundé par l’Ambassadeur d’Allemagne, les Attachés militaire et culturel, le Conseiller aux affaires politiques, ainsi que par les conseillers de coopération au développement, la GIZ (Deutsche Gesellschaft fûr Internationale Zusammenarbeit, ou Agence allemande de Coopération internationale), la KfW (Kreditanstalt für Wiederaufbau, ou Banque pour le Développement), la BGR (Bundesanstalt für Geowissenschaften und Rohstoffe, ou Institut fédéral des Géosciences et des Ressources naturelles), le ZFD (Ziviler Friedensdienst, ou Service civil pour la paix), la Fondation Konrad Adenauer, l‘Institut Goethe.

Le jeudi 15 février, la délégation, sous la direction de M. Günter Nooke, s’est rendue à plusieurs rendez-vous successifs pour des entretiens, avec notamment le Président Paul Biya, avec une assemblée importante de chefs religieux du pays ainsi qu’avec le Ministre de l’Economie, de la Planification et de l’Aménagement du territoire (MINEPAT). Dès le matin s’est tenue une première réunion de travail avec quelques-uns des plus éminents chefs coutumiers traditionnels au siège de la Fondation Konrad Adenauer à Yaoundé. A l’ordre du jour figurait « Le rôle des chefs coutumiers dans le développement local ». La Princesse Espérance Fezeu de l’association camerounaise ESPERANZA-CADE est intervenue sur les formes de gouvernance traditionnelles et de leadership au Cameroun. Des chefs coutumiers des différentes régions du Cameroun avaient été conviés à cette rencontre, dont certains s’étaient rendus en visite en Allemagne en 2017 à l’invitation de la Fondation Konrad Adenauer. Les discussions qui ont suivi et la réception du soir à la résidence de l’Ambassadeur de la République fédérale d’Allemagne avec une animation musicale par la compagnie de danse de la communauté Bameka de Yaoundé, nous ont donné l’occasion de prolonger nos échanges avec les chefs traditionnels coutumiers des Régions d’Amadoua, de l’Ouest, du Littoral et du Nord-Ouest dans une atmosphère détendue et chaleureuse.

La visite, l’après-midi, du Musée National (dont la conception a été récemment repensée) nous avait donné un aperçu accablant d’une culture muséographique manifestement délaissée à l’échelon de l’Etat.

Le vendredi 16 février, la délégation a continué son périple vers l’ouest, répondant à l’invitation de Mme Célestine Ketcha Courtès, Maire de Bangangté. Après un bref entretien avec le sous-préfet, nous sommes allés alors à la rencontre du Roi de Bangangté.

L’apogéedu voyage effectué par notre délégation aura sans nul doute été la visite au Palais des rois Batoufam. À la suite de Sa Majesté Innocent Nayang Toukam, Roi des Batoufam, plus de 2.000 villageois, élèves et officiels de l’administration de la Région, sont venus souhaiter la bienvenue à la délégation. Des représentants de la coopération allemande au développement au Cameroun, entre autres de l’Ambassade d’Allemagne à Yaoundé, de la GIZ, de la KfW et de la Fondation Konrad Adenauer étaient également présents.

Le jour suivant, nous nous sommes rendus à Dschang au Musée des Civilisations, conçu avec le concours de la France, qui retrace en images et raconte de manière captivante l’histoire de cet espace jusqu’à la proclamation d’indépendance du Cameroun. A Buéa, la ville construite au pied du Mont Cameroun (4.095 m), et qui fut le siège de l’administration coloniale allemande jusqu’en 1918, la délégation a eu l’occasion de se familiariser avec le projet de gestion durable des Parcs du Mont Cameroun et de Buéa, sous la conduite de la KfW, et à la faveur d’un débat avec les autorités traditionnelles de la région sur « Les structures traditionnelles et l‘importance de la coopération allemande au développement dans le Secteur Vert ». La période de très longue haleine de ce projet, qui s’étale sur dix ans, a permis d’y impliquer la population de manière durable. A la suite de ces échanges, la délégation a rendu visite à M. Bernard Okalia Bilai, Gouverneur de la Province du Sud-Ouest ainsi qu‘au Maire de la ville de Buéa ; la visite de la ville s‘est terminée par un dîner offet par M. Jan Fröhlich, Chef du Bureau de la représentation de la KfW au Cameroun. Le Dr. Léopold Lehman (professeur et médecin spécialisé en parasitologie), le Dr. Savage Njikam (professeure d’anthropologie sociale) et le Dr. Mbea Mbea (chercheur sur les questions de développement et consultant) étaient venus nous rejoindre depuis Douala pour participer à nos débats.

Le dimanche 18 février, la délégation a eu l’occasion d’assister à un service religieux presbytérien, puis de s’entretenir avec l’évêque qui gère un grand nombre d’établissements scolaires et d’hôpitaux. Notre délégation allemande a saisi l’opportunité d’une rencontre dans la ville portuaire de Douala pour avoir un échange avec des représentantes du REDHAC (le Réseau des Défenseurs des Droits Humains en Afrique Centrale) sur la situation des droits de l’homme dans les territoires anglophones. Notre délégation a achevé sa mission au Cameroun par un dîner organisé à l’invitation de M. Celestin Tawamba, Président du GICAM, le Groupement Inter-patronal du Cameroun.

Günter Nooke et ses collègues ont rejoint Bruxelles puis Berlin le lundi 19 février.

Nos ambassades à Accra et à Yaoundé ont contribué pour une part essentielle au succès de la mission de notre délégation grâce à l’excellente organisation qu’elles avaient prévue sur place ; qu’elles reçoivent ici tous nos sincères remerciements, ainsi que les interlocuteurs et interlocutrices que nous avons pu rencontrer !

7. Post-scriptum

Deux membres de la délégation ont prolongé leur séjour pour participer à des séminaires et mener d’autres entretiens. Le projet d’excursion qu’ils avaient prévu à la clé a dû être écourté suite au conflit armé qui a éclaté entre des braconniers venus du Soudan et les forces armées dans le Parc National de Bouba-Ndjida au nord-est du pays – une des réserves naturelles protégées les plus riches en gibier en Afrique. Quant au nord du pays, il est tout simplement inaccessible, car exposé aux exactions terroristes du groupe Boko-Haram. Comme nous l’avons indiqué plus haut, dimanche, après le départ de notre délégation de Buéa et seulement au bout de quelques kilomètres parcourus, s’est produit un nouvel accrochage meurtrier en lien avec le conflit sur les régions anglophones. Cet incident suffit à expliquer que le nombre de vrais touristes décidant de se rendre au Cameroun se limite à 5000 personnes par an, selon les chiffres disponibles. Le risque d’implosion du pays n’est pas une rumeur, mais bien une réalité.

Berlin, le 27 mars 2018

signé

Fred-Eric Essam, Christine Gühne, Brigitta Herrmann, Günter Nooke, Matthias Theodor Vogt

Mentions légales

Couverture : Vieil arbre et jeune arbre entrelacés l‘un à l‘autre. Cameroun, Région Centre, District du Méfou-et-Akono, 3°41‘55.1 N 11°21‘26.9 E. Photo : Matthias Theodor Vogt, 2018.

Dos de couverture : Figurine ancêtre au Musée du Monastère Notre Dame des Bénédictins du Mont-Febe. Provenance et date d‘origine inconnues, dehors catalogue. Photo : Matthias Theodor Vogt, 2018.

Traduction en anglais : BMZ ; Lynne Jagau, Bremen

Traduction en français : BMZ

Mise en page et conception : Frank Vater et Matthias Theodor Vogt, Görlitz.

Production : Institut de l‘Infrastructure Culturelle de Saxe, Klingewalde 40, D-02828 Görlitz, institut@kultur.org, 2018.

Copyright : par les auteurs ; la réimpression est autorisée sur preuve

Notes

[1]     « Aux fins de la présente décision, on entend par personnes pauvres les individus, les familles et les groupes de personnes dont les ressources (matérielles, culturelles et sociales) sont si faibles qu’ils sont exclus des modes de vie minimaux acceptables dans l’Etat membre dans lequel ils vivent. » art. premier, § 2, 85/8/CEE: Décision du Conseil du 19 décembre 1984 concernant une action communautaire spécifique de lutte contre la pauvreté. Journal officiel des Communautés européennes N° L 002 du 03/01/1985, pp. 0024 – 0025. Cf. Rapport final de la Commission au Conseil du premier Programme de projets et d’études pilotes pour combattre la Pauvreté, Bruxelles 1983.

[2]     La population du Ghana, passée à 27,5 millions d’habitants (juillet 2017), augmente actuellement de 2,17% par an, ce qui correspond à un doublement en 33 ans. La population du Cameroun, de 24,9 millions d’habitants en juillet 2017, augmente de 2,56% annuellement, soit un doublement de sa population en 28 ans. Il n’y a que 9,2% de plus de 55 ans au Ghana, 7,2% au Cameroun. Le taux de pauvreté a pu être notablement réduit au Ghana, de 56,5% en 1992 à 24,2% en 2013, mais il reste considérable dans le nord, entraînant une migration intérieure massive de populations, notamment musulmanes, vers les bidonvilles d‘Accra (UNICEF: The Ghana Poverty and Inequality Report 2016).

Le taux de pauvreté du Cameroun a moins fortement baissé que celui du Ghana, passant de 53,3% en 1996 à 37,5% en 2014. Les données de la Banque mondiale indiquant un taux de 24% pour 2014, inférieur à la marge de 1,90 $ US, ne reflète qu’insuffisamment le niveau de pauvreté réelle.

[3]    « Les populations des zones d’endémie ne représentent pas un marché qui justifierait des investissements pour   des activités prioritaires de recherche et de développement des groupes pharmaceutiques. » (Institut Tropical et de   Santé Publique Suisse/Swiss TPH)

D’après les estimations d’un médecin spécialiste de Douala, l’incidence du paludisme chez les écoliers du primaire peut atteindre parfois 80%. D’après le Rapport sur le paludisme dans le monde 2016 de l’OMS, l’incidence aurait augmenté de 30% au Cameroun entre 2010 et 2015. Les dépenses nationales de contrôle et de lutte contre le paludisme restent stables à quasiment zéro dollar par tête au Ghana comme au Cameroun, les moyens dégagés au niveau international sont en faible hausse (Rapport sur le paludisme dans le monde 2016 de l‘OMS, p. 83).

[4]        Vogt, Matthias Theodor ; Fritzsche, Erik ; Meißelbach, Christoph : Arriver dans l’environnement allemand. Enculturation des migrants et résilience régionale dans le monde unique. Europäisches Journal für Minderheitenfragen | European Journal for Minority Issues Vol. 9 No. 1-2 2016, Berliner Wissenschafts-Verlag 2016, p. 66.

[5]        Günter Nooke : Universalität der Menschenrechte – Zur Rettung einer Idee, in : Günter Nooke, Georg Lohmann und Gerhard Wahlers (Ed.), Gelten Menschenrechte universal ?, Freiburg 2008, pp. 16 – 46.

[6]        Günter Nooke : La liberté religieuse – un droit de l’homme en contradiction. Notes d’un point de vue politique, dans : Thomas Brose et Philipp W. Hildmann (Ed.), Controversial Religious Freedom, Zur Diskussion um ein Menschenrecht, Frankfurt a. M. 2016, pp. 169-182.

[7]        „The transformational development story belongs to the community. It was the community´s story before we came, and it will be the community´s story long after we leave. While our story has something to offer to the community´s story, we must never forget that, at the end of the day, the program is not our story. (…) Forgetting whose story it is means that we further mar the identity of the poor. When we usurp their story, we add to their poverty.” Il s’agit de l’aspect essentiel du spirituel: “Helping the community tell its own story is critical to understanding its present and its identity as well as getting a glimpse of a possible future. When we take time to listen to its story, we are signaling the community that we think its story is valuable. There is also a need to help the community and us to recognize the activity of God in the story of the community. (…) Recognizing and naming God´s activity in the story is (…) a spiritual act. It is also an act of healing. Asking the community to locate God in its history is a way of helping its members to discover that they are not god-forsaken.” (B. Myers, Walking with the Poor 2011, 207.) (B. Myers, Walking with the Poor. Principles and Practices of transformational development – Marcher avec les pauvres. Principes et pratiques de développement transformationnel. Maryknoll 2011, 174.)

[8]        Par exemple, la petite publication du projet du secteur GIZ Valeurs, religion et développement : chiffres, dates, faits dans la phrase 1 de la page 1 fait la référence suivante : « Les activités humanitaires d’inspiration religieuse sont documentées dans l’historiographie occidentale depuis le 15e siècle ». Mais même les parties les plus anciennes de l’Ancien Testament parlent de la protection des pauvres et des étrangers comme d’un commandement de Dieu. Dans le judaïsme, il est dit au Zedaka : « Plus que le riche fait pour le pauvre, le pauvre fait pour le riche ». La Zakat, en tant que forme très forte d‘ « activités humanitaires d’inspiration religieuse », est à nouveau constitutive du développement de l’Islam. La phrase ci-dessus doit être lue en conséquence : « Dans les trois religions abrahamiques, la charité envers les pauvres est inséparablement liée au service de Dieu depuis le début. » Également à la page 1, on peut lire : « Aux XVIIIe et XIXe siècles, la religion faisait partie intégrante du concept de société civile et a façonné les débats sur les valeurs. » Cette phrase est également problématique, même en ce qui concerne Rousseau 1772 et sa religion civile. Ça devrait plutôt se lire ainsi : « Aussi récemment qu’au XVIIIe siècle, une société constituée sans religion semblait inconcevable ; cela devait changer nominalement mais pas structurellement avant le XIXe siècle avec l’exaltation mythique et non séculaire du corps folklorique national en un substitut à la religion. » C’est là qu’apparaît le dilemme de Böckenförde, qui joue également un rôle décisif dans la coopération au développement, bien qu’il ait été jusqu’à présent largement mal compris.

[9]     Nooke, Günter, Migration und Flucht als Herausforderung der Entwicklungspolitik (Migrations et exodes : un défi pour la politique de développement), à paraître en 2018 aux éd.Schöningh, Recueil sur les causes de l’exode des populations.

[10]      Volker Seitz, 08.03.2018,http://www.achgut.com/artikel/ohne_frauen_bricht_afrikas_wirtschaft_zusammen.

[11]    Cf. http://psmnr-swr.org/resources/psmnr-swr-videos , et. https://www.youtube.com/watch?v=Rp-myBQLXMc

[12]      Cf. les opérations militaires et la coopération au développement en Afghanistan, Wolfgang Bauer : Nous sommes vaincus. DIE ZEIT, 07.03.2018. Conclusion : « Nous avons besoin de nouvelles structures plus flexibles. En Allemagne, nous avons besoin de centres de formation pour une nouvelle génération d’aides d’urgence qui non seulement fourniraient des directives de financement, mais seraient aussi instruits sur la langue et la culture. La RDA fut un exemple. Les plans de politique étrangère de l’Allemagne en Afghanistan ont largement échoué. Nous avons besoin de nouveaux plans de toute urgence, mais nous devons d’abord avoir le courage d’admettre l’échec. »